Conflit sino-américain : le quantique, nerf des guerres de demain ?

Après la bataille des smartphones, celle de la 5G, les États-Unis ont décidé de s’attaquer aux technologies quantiques « made in China ». Washington a inscrit sur sa liste noire, mercredi 24 novembre, huit entreprises chinoises travaillant dans le domaine du quantique.

Cette interdiction de faire des affaires avec ces sociétés vise à contrer les « efforts de modernisation de l’armée chinoise » qui reposeraient en partie sur le développement des technologies quantiques, a assuré le département américain du Commerce.

Course à l’armement quantique

Le quantique comme arme des soldats du futur ? La défense n’est généralement pas la première application à laquelle on pense en évoquant cette technologie souvent associée au développement des ordinateurs quantiques. La mise au point de ces machines à calculer fait couler beaucoup d’encre : elles seraient capables de réaliser en quelques minutes des opérations trop complexes pour les plus puissants des ordinateurs actuels.

De quoi ouvrir de nombreuses perspectives, telles que la mise au point rapide de nouveaux médicaments, la gestion automatisée à grande échelle et en temps réel du trafic routier ou ferroviaire.

Mais ce n’est qu’une facette de la révolution quantique à venir. Il y en a d’autres qui font rêver les militaires de nombreux pays depuis plusieurs années. L’Otan a ainsi placé les technologies quantiques sur sa liste des plus importantes innovations émergentes pour les guerres du futur, aux côtés de l’intelligence artificielle, du « big data », des armes autonomes ou encore des biotechnologies.

La Chine a prévu un budget de 50 milliards de dollars pour développer cette technologie, tandis qu’aux États-Unis, Darpa – la principale unité de recherche et développement de l’armée américaine – travaille depuis au moins 20 ans sur les réseaux quantiques.

L’Europe n’est pas en reste puisque « l’Agence européenne de défense a mis en place en juillet 2021 un fonds spécifique pour promouvoir des projets de recherche dans le domaine du quantique », souligne Michal Křelina, physicien à l’université technique de Prague et auteur d’une étude sur les applications militaires des technologies quantiques, contacté par France 24.

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Il y a donc une vraie course à l’armement quantique, à laquelle participe d’ailleurs la France : Paris a prévu une enveloppe de 30 millions d’euros sur cinq ans pour chercher des applications militaires à la technologie quantique.

Mais c’est une course qui n’en est qu’à ses premières foulées, puisque « si les chercheurs ont obtenu des résultats prometteurs en laboratoire, on ne sait pas encore si ces applications fonctionneront aussi dans les conditions réelles et répondront aux besoins de l’armée », note Michal Křelina.
Un monde sans secret militaire ?

Les militaires misent donc des milliards sur un espoir, qui n’est même pas de fabriquer des nouvelles super-armes. « Les technologies quantiques permettront d’améliorer considérablement certains domaines critiques des conflits modernes comme les communications, le renseignement ou encore la navigation », résume le spécialiste tchèque.

L’une des premières applications militaires serait « de casser le chiffrement des communications », note le département américain du Commerce. À l’heure actuelle, aucune machine n’est capable de casser les clés de chiffrement les plus sophistiquées, mais un ordinateur quantique pourrait le faire en quelques minutes.

Et c’est un danger qui est déjà d’actualité. « Certaines communications secrètes concernent des informations qui seront encore valables dans 10 à 15 ans. Il suffit donc que des espions les volent aujourd’hui et attendent que la technologie quantique soit mature pour découvrir ces secrets », explique Michal Křelina.

D’où l’importance de trouver des contre-mesures. La plus avancée est l’envoi de clés de déchiffrement quantique. Autrement dit, le message secret est transmis en utilisant les voies traditionnelles de communication, mais la clé qui permettra de le rendre lisible est envoyée via un réseau quantique qui – sans entrer dans les détails techniques – est censé être impossible à pirater. La Chine a déjà prouvé que c’était faisable, en 2016, en « sécurisant ainsi les transmissions lors d’une conférence réunissant des personnes à Pékin et à Vienne », rappelle l’Otan, dans un billet de blog consacré aux technologies quantiques.

Le Saint-Graal militaire serait bien sûr d’envoyer les messages eux-mêmes via des réseaux quantiques. Aucune chance alors que l’ennemi intercepte les ordres sur ces réseaux de communication « ultra-sécurisés ». Mais c’est un objectif à beaucoup plus long terme, juge le Congrès américain dans une note d’information sur ce sujet parue fin octobre.
Le secret des communications électroniques n’est pas le seul domaine militaire qui risque d’être chamboulé par l’arrivée du quantique. La navigation aussi pourrait entrer dans une nouvelle ère grâce aux capteurs quantiques. « Il s’agit de détecteurs qui fonctionnent avec des photons qui sont beaucoup plus sensibles à l’environnement que ce qui existe actuellement », note Michal Křelina.

Ce serait particulièrement utile pour les sous-marins afin de repérer plus précisément les éventuels dangers comme les mines placées dans les profondeurs, précise l’Otan.

En fait, c’est toute la guerre sous-marine qui pourrait être revue et corrigée par l’arrivée de cette technologie. Les capteurs quantiques pourraient, par exemple, prendre le relais des GPS dans les zones où ce réseau de géolocalisation ne passe pas…comme sous l’eau. « Les sous-marins pourraient ainsi rester sous l’eau plus longtemps, améliorant ainsi leur furtivité », assure Michal Křelina.

Cette capacité des particules quantiques à mieux détecter les mouvements et les ondes alentour a amené les chercheurs à travailler sur des radars quantiques. La promesse serait alors de rendre toute la technologie des avions furtifs obsolète. C’est en tout cas ce qu’ont affirmé des scientifiques chinois, en septembre 2021. Mais pour une partie de la communauté scientifique, il s’agit plutôt de fanfaronnades car construire de tels radars serait excessivement cher, et ils ne fonctionneraient que dans des conditions extrêmes (température proche du zéro absolu), note le site Interesting Engineering.

Il y a, certes, actuellement des exagérations sur l’avantage que le quantique procurerait aux militaires. Mais, pour Michal Křelina, il faudra attendre encore 10 à 15 ans pour commencer à voir les premières applications réelles de ce que ce domaine émergent va apporter aux armées. Et les États-Unis n’ont pas envie que les Chinois soient les premiers à en faire la démonstration.

FRANCE24

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