Le docteur en Sciences politiques et enseignant à l’Université Bordeaux II, Salim Chena »la libération de la parole xénophobe, raciste et anti-islam charge, de légitimité les personnes acquises à ces idées »

Propos recueillis par Amira Mahfoudi/ Medianawplus

 

À l’approche de l’élection présidentielle de 2022 en France, l’espace politico-médiatique se trouve submergé par la question de l’immigration. des positions partagées, des chiffres livrés à des interprétations multiples, les candidats s’ emparent du sujet.

Dans une interview accordée à Medianawplus, Salim Chena, chercheur en sciences politiques, a précisé que la question de l’immigration  n’est qu’une « réhabilitation de l’extrême droite » qui avait été  discréditée et exclue du politique après « le régime de Vichy », celui de l’État français, mis en place par Pétain.

Pour le chercheur Salim Chena , tout est mélangé, rien n’est défini correctement, concernant la question de l’immigration.

Medianawplus : Pourquoi le sujet de l’immigration est-il aussi présent dans l’espace politico-médiatique ?
Salim Chena : Aujourd’hui, cette thématique est effectivement au centre du débat public, notamment au moment des élections. C’est avant tout le fruit de stratégies politiques développées par des acteurs pour imprimer leur marque dans l’espace public, avec le concours des médias qui recherchent, pour des profits, la petite phrase, le clash et le buzz. En France, l’arrivée de Jean-Marie Le Pen dans les médias audiovisuels et les grand-messes des émissions politiques, à partir de 1984, a entamé la banalisation des idées d’une extrême-droite qui était jusque-là groupusculaire et marginalisée.
Medianawplus : certaines populations immigrées sont plus ciblées que d’autres,  cela pourrait-il produire une incidence sur elles?
S.C : C’est difficile à évaluer, et c’est impossible de prédire quoi que ce soit. Une chose est sûre, c’est que la libération de la parole xénophobe, raciste et anti-islam charge, comme on dit en sciences sociales, de légitimité les personnes acquises à ces idées. Elles peuvent alors se sentir en droit d’aller de plus en plus loin, pourquoi pas jusqu’à la violence : regardez ces vidéos où ils tirent, à armes réelles, sur les cibles de leurs discours. Investies de sens positifs, ces idées – fondées sur le rejet, le mépris voire la haine – sont rendues acceptables, banales.  le principal argument  utilisé est de  dire, que l’on exprime tout haut, ce que tout le monde pense tout bas.
Cependant, les violences anti-immigrés, verbales ou physiques, existent depuis longtemps ; elles visaient à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle les immigrés italiens, espagnols ou polonais. Elles prennent simplement une tournure plus culturaliste avec l’immigration issue des anciennes colonies. Gérard Noiriel rappelle qu’un quart des habitants de la France ont un parent ou un grand-parent étranger, d’Europe ou d’ailleurs, mais que ce statut de principal pays d’immigration en Europe – qui fait la richesse culturelle, intellectuelle et économique de la France, et qui devrait être une fierté selon moi – n’a jamais été assumé.
Medianawplus : Le sujet de l’immigration est très souvent lié au sécuritaire, pourquoi ce lien se fait-il de manière systématique?
S.C : C’est l’un des résultats du grand retournement. C’est le fruit d’un travail idéologique de fond mené par des courants de la droite et de l’extrême droite. Ceux-ci ont lu les auteurs, très à gauche, ayant établi le lien entre culture et politique, ou entre savoir et pouvoir. Ils les ont simplement mis au service de leur agenda, qui est la réhabilitation de l’extrême droite qui avait été logiquement discréditée et exclue du politique après le régime de Vichy, celui de l’État français, mis en place par Pétain. S’il est vrai que la création du Front national, au début des années 1970, marque ce retour sur la scène politique légitime – et il importe de regarder qui était parmi les fondateurs de ce parti, c’est-à-dire un grand nombre d’anciens collaborateurs de l’occupant nazi -, cela a commencé avant et s’est poursuivi après.
Medianawplus : Une hostilité qui renforce la théorie du « grand remplacement », pensez-vous que le débat sur l’immigration prend une mauvaise tournure ?
S.C : Il n’est pas interdit, en démocratie, de débattre et d’échanger des idées, dans les limites de la loi. Il n’y a pas un modèle unique de politique migratoire, et celle-ci peut être discutée par les citoyens et les parlementaires. Il y a des politiques migratoires clairement utilitaristes et qui l’assument, comme en Amérique du Nord, et d’autres qui sont clairement pour une « immigration choisie » au sens fort du terme, comme la « politique de l’Australie blanche » jusqu’au milieu des années 1970. Le problème actuellement, bien illustré par le succès – y compris chez Les Républicains – de la théorie fumeuse du grand remplacement, est que le débat est complètement faussé. Tout est mélangé, rien n’est défini correctement, on enfile les approximations, voire les mensonges, comme des perles, les journalistes ne remettent pas en question ce qu’affirment les candidats et acquiescent plus ou moins benoîtement. C’est le degré zéro de la réflexion sur ces sujets qui, parce qu’ils sont très complexes, touchent tous les domaines de la vie et portent des enjeux éthiques considérables, mériteraient bien mieux. On retombe ici sur une vieille critique des médias par les bourdieusiens, qui expliquent que structurellement les médias, surtout la télévision, empêchent l’expression d’idées et de réflexions approfondies.

Qui est Salim Chena?

Salim Chena, docteur en Sciences politiques et enseignant à Bordeaux. Il est membre fondateur de la revue en Ligne Dynamiques internationales et chercheur associé au laboratoire Les Afriques dans le Monde (CNRS/Sciences Po Bordeaux). Ses productions scientifiques portent essentiellement sur l’étude des migrations et l’asile au Maghreb, la politique internationale dans l’aire maghrébo-sahélienne et la philosophie sociale.

 

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