Abdelkader, un émir à Amboise

Amboise (Indre-et-Loire) est l’un des fleurons touristiques du Centre-Val de Loire. Son château possède une galerie de souverains, d’invités et d’hôtes illustres qui ont été accueillis au château. Parmi les plus connus, Léonard de Vinci qui le fréquenta durant 3 ans mais pas seulement. L’émir Abdelkader y resta emprisonné de 1848 à 1852. Chef religieux et militaire algérien qui lutta contre la conquête de l’Algérie par la France au milieu du XIXe siècle, Abdelkader est aussi un homme éclairé, tolérant et moderne qui a marqué la ville d’Amboise. Éclairage avec Marc Métay, directeur du Château d’Amboise.

Propos recueillis par Estelle Boutheloup

Abdelkader sera emprisonné au Château d’Amboise de 1848 à 1852. Photos Château d’Amboise

Dans quel contexte le prince algérien Abdelkader arrive t-il à Amboise ?

Il arrive le 8 novembre 1848 en inexplosible par la Loire depuis Paimbœuf, pas très loin de Saint Nazaire. C’est la dernière étape de son périple depuis le Château de Pau, où il était incarcéré dans un contexte rude, et Bordeaux. Le 21 décembre 1847, Abdelkader fait sa reddition et se rend au général Louis de Lamoricière en échange de la promesse de Louis-Philippe d’être exilé en terre d’Islam et contre la promesse de ne plus porter les armes contre la France. Alors que la France connait un changement de régime en 1848 avec un Gouvernement provisoire, la promesse de Louis-Philippe n’est pas honorée, et Abdelkader est emprisonné à Toulon. Mais par peur d’une exfiltration, car proche de la frontière, il est déplacé vers un territoire central : à la citadelle d’Amboise, alors placée sous le Ministère de la Guerre et défendue par 120 hommes de garnison. L’émir y est alors placé en résidence surveillée où il n’est pas libre de ses mouvements.

Quelle vie mène t-il dans cette citadelle ?

Jusqu’en 1851, il est sous bonne garde mais libre de ses mouvements dans l’enceinte de la citadelle, contrairement à sa suite qui peut, elle, aller dans les rues d’Amboise . Le château a perdu une partie de son mobilier. Il faut donc le remeubler, doter le logis pour le rendre plus familier au Prince et à sa suite, y mettre des tapis, lui donner l’image d’un habitat algérien. Abdelkader vit au premier étage, dans la grande salle actuelle du château, la pièce la plus orientale avec vue sur la Loire, près de sa mère et de son épouse. Il a accès à l’école coranique, située à l’époque sur le haut de la tour des Minimes. C’est un point essentiel : il ne peut plus jouer de rôle politique mais c’est un érudit, un chef religieux qui ne renonce pas à sa foi et qui s’attache à transmettre et à enseigner aux jeunes membres. Parallèlement, des religieux vont rentrer dans la boucle. L’abbé Morlot d’Amboise va se préoccuper de la santé morale de l’émir, et les sœurs de la Charité de Tours vont s’assurer de la santé des femmes : c’est un aspect déterminant sur le moral de la suite qui a vécu de nombreux décès traumatisants lors du transfert de Toulon à Pau dus à des maladies respiratoires et cutanées alors qu’il ne fallait pas arrêter le cortège en marche.

Que reste t-il du passage d’Abdelkader aujourd’hui ?

26 personnes décèderont à Amboise. Les personnes seront inhumées au château dans un cimetière musulman sauf une, chrétienne, sur la terrasse haute, côté sud. En 1853, une stèle à la mémoire des membres de la suite y est érigée, financée grâce à une souscription des Amboisiens. En 2004-2005, un jardin d’Orient est élaboré par Rachid Koraïchi, qui a l’idée de poser un jardin commémoratif autour des 25 stèles en pierre d’Alep et calligraphiées du nom des défunts. Autour, une rivière de romarin, de  jasmin et autres plantes méditerranéennes… Un espace intégré dans un jardin paysagé créé par Jean-Louis Sureau, ancien conservateur du Château d’Amboise.

Le Jardin d’Orient réalisé par Rachid Koraïchi en 2004-2005 abrite 25 sépultures des membres de la suite d’Abdelkader. Photo Château d’Amboise

Quel homme était Abdelkader ?

C’était un homme qui a inspiré le respect : c’était un prisonnier d’État mais pas pour la population qui était plutôt bienveillante, pour elle c’était un prince. 

Ici, Abdelkader priait, enseignait et recevait. C’était un homme de grande conviction qui avait fait la part des choses entre le politique et le dialogue entre les religions. L’abbé et les sœurs de la Charité seront d’ailleurs changés par cette expérience de relation cultuelle. Il y aura des échanges épistolaires avec les religieux : il émanait de l’amitié de ces individus qui se respectaient.

C’était aussi un homme aux facettes multiples, ouvert à la modernité. En 1951, il reçoit des personnalités et peut sortir. Il ira à la gare de Limeray pour voir le premier train. Il était aussi passionné par le projet du Canal de Suez qui apporterait développement et apports de nouvelles technologies. 

Abdelkader n’a pas laissé qu’un héritage matériel à Amboise, il a aussi laissé un message immatériel majeur, et au château, dans la grande Galerie des Portraits, il est dans notre narration de tous les jours. C’est un personnage symbolique qui a inspiré une œuvre d’art installée en bord de Loire. Même si elle a été abîmée par manque d’intelligence, elle a été restaurée pour lutter contre les idées obscures. Adbelkader est un héros national en Algérie, et il est important de dire, notamment aux jeunes d’aujourd’hui, que c’est plus qu’un père de la Nation.

 

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